Chapitre VI

 

Décision

 

         Une légère brise  balaya la plaine, emportant avec elle les dernières senteurs de la nuit. Les hauts brins d'herbe s'agitèrent sous ce courant d'air, certains vinrent chatouiller les naseaux d'une grande masse sombre allongée dans l'herbe. La bête ouvrit les yeux et observa le paysage alentour. Tout était encore calme, au loin les premières lueurs de l'aube pointaient dans le ciel. Autour de lui les autres dormaient encore. Un bruit attira son attention. Il tourna immédiatement la tête vers l'imposante muraille qui bordait le pâturage et pointa les oreilles vers l'avant. La porte s'ouvrit lentement et laissa passer tout un groupe de soldats. Ces derniers se dirigèrent vers lui et ses camarades endormis. L'animal se releva, prit appui sur ses pattes et s'ébroua pour se débarrasser des quelques brins d'herbes accrochés dans sa crinière. Il observa plus attentivement les hommes qui approchaient. Il reconnu aussitôt l'homme qui les menait.  Il trottina vers lui et s'arrêta en piaffant devant lui. L'homme lui passa une lanière de cuir autour du museau et le guida vers la porte dans la muraille. Une fois à l'intérieur des remparts il se laissa guider jusqu'a une petite place sur laquelle l'attendait un seau remplit d'orge et d'avoine. Il plongea goulument sa tête dans le récipient et entama son repas. Entre temps le soleil avait continué sa course dans le ciel, et un rayon vint frapper la bête, révélant un magnifique étalon. On voyait saillir de puissants muscles  et un imposant poitrail sous sa belle robe bai, qui semblait briller au soleil.

_ Alors c'est donc lui? interrogea Takeshi

_ Oui, voilà Sen'ryaku. répondit Setsuna le sourire aux lèvres.

_ Belle bête en effet. commenta Hikaru qui venait d'arriver avec une belle jument blanche.

_ Magnifique même, acquiesça Takeshi. Et c'est donc lui dont tu parles avec tant d'éloges mon jeune ami?

_ C'est bien lui, sourit Setsuna. Et je mets au défi vos montures de rattraper Sen'ryaku lorsqu'il s'élance à pleine vitesse.  

_ Ne sous estime pas tes ainés, répondit Hikaru en flattant l'encolure de sa jument. Cette chère Kaisoku pourrait bien te faire ravaler ta fierté.

_ Je constate avec plaisir que vous vous entendez bien. Ce voyage finira peut être pat te plaire Setsuna.

         Les trois hommes se retournèrent vers l'origine de cette voix. Huang sortit de l'ombre d'une ruelle et s'approcha d'eux.

_ Huang Fuku-Taisho, que faites vous debout de si bonne heure? s'étonna Takeshi

_ Mon second part pour Kyoto, je suis venu lui souhaiter bonne route. Ainsi qu'a vous qui avez offert de l'accompagner.

_ C'est avec plaisir que nous chevaucherons à ses cotés, répondit Hikaru. Et d'après ce qu'il nous a raconté, le voyage devrait être rapide si nous suivons la cadence de son étalon.

_ Et vous a t-il également raconté que sa chère monture essaye de le mettre par terre à chaque fois qu'ils quittent la ville? demanda Huang

Hikaru et Takeshi partirent d'un grand éclat de rire en apprenant la nouvelle.

_ Mes félicitations Fuku-Taisho, vous venez de ruiner ma réputation aux yeux de deux des lames sacrées, ironisa Setsuna. Avoue que tu es venu pour voir si j'allais tomber cette fois, et non pour me souhaiter un bon voyage.

_ Je ne peux pas le nier, sourit Huang.

_ Veux tu que nous partions avant toi? Comme cela si tu tombes nous ne le saurons pas. le taquina Takeshi.

_ L'idée est intéressante, je m'en souviendrais pour la prochaine fois, commenta Huang. Mais pas aujourd'hui. Préparez vous à partir, Seiryu et ses hommes vous attendent déjà à la porte sud. Ils chevaucheront avec vous une partie de la journée. Votre escorte est-elle prête?

_ Oui. Douze hommes, sélectionnés parmi mes meilleurs combattants. répondit Setsuna en  montrant d'un signe de tête une petite troupe de soldats occupés à seller leurs  montures.

_ Parfait. Setsuna, j'aimerais te parler en privé quelques minutes avant que tu ne partes.

_ Bien sur, acquiesça le concerné.

         Tandis que les deux hommes s'éloignaient, Takeshi interrogea Hikaru du regard, mais ce dernier haussa les épaules avant de se détourner pour seller son propre cheval. Comme la discussion des deux hommes trainait en longueur, deux soldats vinrent seller le cheval de leur commandant avant de grimper sur leurs propres montures. Quelques minutes plus tard la petite troupe était prête au départ. Setsuna grimpa sur l'étalon et adressa un signe de tête à Huang avant de partir au petit trot vers la porte sud, la troupe sur ses talons.

 

*

*     *

 

         Huang poussa la porte de bois en silence et la referma derrière lui. Il traversa directement plusieurs pièces, il savait très bien ou elle dormait. Il connaissait cette maison comme sa poche et aurait pu y vivre même en étant aveugle. Il pénétra dans une petite pièce rectangulaire et s'agenouilla près d'un fûton  duquel émergeait seulement quelques mèches de cheveux noirs. Huang souleva délicatement le kake-buton, suffisamment pour que le visage de la jeune fille apparaisse à l'air libre. Elle dormait à poings fermés, après tout il était encore très tôt. Elle avait l'air tellement heureuse dans son sommeil que Huang hésita un instant à la réveiller. Après quelques secondes de réflexion, il se décida à la sortir de son sommeil et pencha doucement au dessus d'elle.

_ Debout petite sœur, l'heure de ta punition est arrivée. chuchota le jeune homme.

         N'obtenant aucune réponse, Huang haussa quelque peu le ton:

_ Lève toi, c'est un ordre!

         N'obtenant toujours aucune réaction, il se décida à parler à voix haute:

_ Debout Chisaki! C'est ta dernière chance.

         L'intéressée émit un faible grognement de mécontentement avant de se rouler en boule sous le kake-buton.

_ Très bien, tu l'auras voulu. soupira Huang.

         Ce dernier arracha d'un coup sec le kake-buton aux bras de l'effrontée, avant de la saisir par les épaules. Il la leva de force et la plaqua contre le mur.

_ Je t'ais ordonné de te lever!! cria t-il.

         La jeune femme ouvrit de grands yeux, ne comprenant qu'a moitié ce qui lui arrivait. C'est à ce moment là que l'homme qui attendait Huang dehors pénétra dans la pièce.

_ Tout va bien monsieur? je vous ais entendu crier et ...

         Le garde ne termina pas sa phrase et resta planté dans l'encadrement de la porte la bouche ouverte et les yeux rivés vers son commandant. Huang réalisa alors que la jeune femme était à moitié nue et qu'il était presque collé contre elle. Confus il la lâcha et s'écarta en une fraction de seconde. La jeune femme qui ne s'y attendait pas se laissa glisser e long du mur pour se retrouver à nouveau sur son fûton. Huang lui jeta le kake-buton pour la couvrir.

_ Habille toi, et en vitesse! Nous t'attendrons dehors. Si tu traines trop je te trainerais jusqu'à la caserne et ce quelle que soit ta tenue. Alors ne perds pas de temps!

         Les deux hommes quittèrent la pièce sous le regard hébété de Chisaki. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi celui qu'elle considérait comme son frère l'avait réveillée aussi violemment. Toutce qu'elle avait compris, c'est qu'elle ne devait pas trainer pour se préparer si elle ne voulait pas finir presque nue devant les hommes de Huang.

_ Fuku-Taisho, ... veuillez excuser mon irruption. Je ne pensais pas que vous étiez en train de ...

_ Ne va pas te faire de fausses idées. coupa Huang. Cette femme n'est autre que ma jeune sœur. Comme elle n'y était guère disposée je l'ais aidée à se lever. J'avais complètement oublié qu'elle avait la mauvaise habitude de dormir dans cette ... tenue.

_ Je comprends. répondit le garde. Il n'empêche que je ne suis pas entré au meilleur moment. Pour vous en tout cas ...

_ Surveille tes paroles, je te rappelle qu'elle est ma sœur.

_ Veuillez m'excuser Fuku-Taisho! s'inclina le garde.

_ Cela dit, tu aurais pu choisir un meilleur moment pour faire ton apparition. sourit Huang.

         La porte s'ouvrit derrière eux, laissant apparaitre Chisaki La jeune femme avait juste pris le temps d'attacher ses longs cheveux et d'enfiler une hakama et une veste ample.

_ Je te présente Kazu, commença Huang en désignant le garde. Suis le, il va te conduire à l'armurerie ou il t'équipera. Vous me rejoindrez ensuite dans la seconde cour d'entrainement. Si tu tentes de lui fausser compagnie, c'est le fouet qui t'attends petite sœur, et je ne serais pas tendre avec toi.

_ Proposé comme ça, je pense que je vais suivre Kazu, sourit la jeune femme.

         Alors que le garde s'éloignait suivi de Chisaki, Huang soupira et s'éloigna en direction de la caserne en espérant que Chisaki se tiendrait tranquille au moins tant qu'elle serait avec Hayato.

 

         Huang attendait patiemment au centre de la cour. Il avait revêtu une hakama et un keikogi ainsi qu'une légère armure de cuir. Alors qu'il commençait à croire que Chisaki avait réussi à tromper la vigilance de Kazu et qu'elle s'était cachée quelque part dans la ville, elle passa la porte de la cour, le garde sur ses talons. Elle portait désormais la même tenue que le Fuku-Taisho, à la différence qu'un sabre tait accroché à sa ceinture et qu'elle tenait dans ses bras de nombreuses pièces d'armure. Elle posa ces dernières dans un coin et y laissa également son sabre sur les ordres de Huang. Avant de le rejoindre au centre de la cour en terre battue, elle se saisit du bokken que lui tendait Kazu et lui jeta un regard noir. Huang compris avec amusement que le garde avait forcé la jeune femme à transporter seule tout son équipement de l'armurerie à la caserne, deux bâtiments relativement éloignés.

_ Bien, aujourd'hui ta punition commence. À partir de demain, tu me rejoindras ici à l'aube, et ce tout les matins jusqu'au retour de Setsuna.

_ Setsuna? Mais il est parti pour Kyoto!! s'écria Chisaki.

_ Ça c'est ton problème petite sœur, répliqua Huang. La prochaine fois tu réfléchiras avant de t'en prendre à un soldat.

_ Et en quoi consiste mon châtiment ?

_ Puisque tu m'as l'air de vouloir devenir un soldat, je vais t'entrainer dans ce but. Ne te réjouis pas trop vite! Tu va vite déchanter.

_ Ça je n'en suis pas si sûre, répondit l'effrontée le sourire aux lèvres. Par quoi est ce qu'on commence?

_ Par voir ce que tu vaux réellement. Attaque moi comme si tu voulais me tuer. Ne te retiens surtout pas.

_ Ne viens pas pleurer quand tu auras perdu contre moi grand frère.

_ Nous verrons ça.

         Chisaki se précipita vers Huang, leva son sabre au dessus de la tête et frappa de toutes ses forces ... dans le vide. Un instant plus tôt Huang était encore sur la trajectoire de son arme, mais il avait esquivé en un éclair et s'était placé sur le coté. Emportée par son élan, Chisaki bascula en avant et son frère lui assena un coup de tsuba dans le dos pour lui faire mordre la poussière.

_ Et bien, si c'est comme ça que tu comptes me faire pleurer, je n'ais pas à m'inquiéter. plaisanta Huang.

         La jeune femme se releva et repartit à l'assaut presque immédiatement. Elle porta la même attaque mais anticipa l'esquive de son adversaire et coupa cette fois à la droite de son frère. Mais une fois de plus celui ci ne se trouvait pas sur la trajectoire de la lame et Chisaki se retrouva encore au sol. Ne perdant pas de temps elle se releva et fit à nouveau face. Elle avait déjà compris qu'elle avait trop anticipé le déplacement de son frère et que ce dernier n'avait pas eu à bouger, c'était elle qui avait coupé à coté. Elle se relança à l'attaque, mais cette fois ci laissa son arme en position basse et tenta de faucher son adversaire par le bas. Elle  fut stoppée net dans son élan quand Huang se précipita à sa rencontre et lui assena un coup de poing dans le plexus. La jeune femme en eu instantanément le souffle coupé et tomba à genoux. En venant à sa rencontre, son frère l'avait empêché de porter son attaque assez rapidement. refusant de perdre la face, elle se releva à nouveau. Cette fois elle prit le temps de juger son adversaire avant d'attaquer. Lorsqu'elle s'élança sa stratégie était bien établie dans sa tête. Elle visa tout d'abord les mains pour empêcher son adversaire de contre attaquer, et enchaina presque aussitôt avec les jambes pour le forcer à reculer. Cela marchait plutôt bien jusqu'a ce que Huang se laisse tomber au sol d'un seul coup et fauche les jambes de l'effrontée dans le même mouvement. Le Fuku-Taisho ne toucha finalement pas le sol et prit appui sur ses pieds pour ne pas tomber. Chisaki quant à elle était étalée sur le dos.

         Lorsqu'elle se releva une nouvelle fois, Huang et Kazu furent agréablement surpris. La détermination de la jeune femme était telle que Kazu se retint de l'applaudir. Il savait pertinemment que tenir tête à Huang en combat singulier était inutile. Seuls Setsuna et Agito pouvaient se hisser à son niveau, et la jeune femme était encore loin d'égaler les jumeaux. Néanmoins elle continua le combat et attaqua une nouvelle fois. Le résultat fut le même et Chisaki se retrouva à terre en quelques secondes. Cela continua ainsi pendant plusieurs heures, la jeune femme trouvant toujours de nouvelles tactiques, de nouvelles attaques, mais Huang dominait largement le combat et l'envoyait au tapis à chaque fois.

         Lorsqu'elle resta par terre, la jeune femme était totalement épuisée. Elle n'avait plus la force de se lever, la sueur dégoulinait le long de son visage, elle était couverte de terre, et pour couronner le tout, elle n'avait pas réussi à toucher son grand frère, ne serait-ce qu'une seule fois. La fatigue l'emporta peu à peu et ses yeux se fermèrent malgré elle. Chisaki voulait continuer le combat, elle voulait prouver à Huang qu'elle avait les capacités de devenir une véritable combattante. Son corps, lui en revanche, avait décidé d'arrêter le combat. Chaque muscle la faisait souffrir, ses bras et ses jambes n'avaient plus la force de la porter. Alors qu'elle sombrait dans le sommeil, elle sentit qu'on la soulevait et qu'on la portait délicatement. À peine consciente elle mis du temps à comprendre qu'on la ramenait chez elle. La jeune femme réussit après de nombreux efforts à tourner la tête et s'aperçut que c'était Huang qui la tenait dans ses bras. Au final, même s'il l'avait épuisée avec sa punition il prenait soin d'elle comme il l'avait toujours fait. Chisaki réalisa alors que son frère portait de lourdes responsabilités, tout le monde comptait sur lui, et pourtant il prenait encore le temps de la porter jusqu'à chez elle. Elle savait qu'il ne se contenterait pas de ça et qu'il lui préparerait de quoi manger à son réveil ainsi que des vêtements propres.  Depuis toutes ces années, il s'était montré prévenant et attentionné envers celle qu'il considérait comme sa sœur. Et en retour elle n'avait fait que s'attirer des ennuis, ainsi qu'à lui par la même occasion. Cela devait cesser. Désormais elle ne serait plus une charge pour son frère! Elle affronterait son châtiment sans baisser les bras et se montrerait digne de la confiance qu'il plaçait en elle.

         Tandis qu'ils approchaient de leur destination, la jeune femme avait pris sa décision. Soudain elle s'aperçut que son frère était également en sueur. Pourtant cela ne l'avait jamais fatigué de la porter. Ce qui voulait dire que ses assaut répétés avaient fini par fatiguer Huang. Elle était donc capable de le toucher finalement, il suffisait juste qu'elle s'entraine sérieusement. Elle sombra alors dans le sommeil, un grand sourire sur les lèvres.

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